Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

mercredi 3 septembre 2014

Cirque de la misère

« L'un des plus grands spectacles de cirque… ! 1H45 de spectacle à couper le souffle ! »

En tout cas, celui de ma ptite nièce qui explosa en pleurs vu le niveau sonore de la harangue stéréophonique qui dut servir à rameuter plutôt les habitants de Pluton* que ceux du coin, moins enthousiastes, le jour où nous choisîmes d'aller au cirque, pour changer. Alors vite ! Un coup d’œil aux fresques dessinées sur les tentures du chapiteau pour recentrer son attention sur « les lions qui font peur », une imitation du rugissement (assez vraisemblable pour la faire éclater de rire) et c'était bon, enfin presque…
 
Qui aurait cru que retomberait si vite notre engouement initial ?
 
Grammaticalement, il y avait pourtant une anguille : où était le référent ? L'un des plus grands spectacles de cirque, certes, mais… rapporté à quoi ? Au monde ? Du pays ? De la région ? Du quartier ? Pourquoi avait-on subtilement mis un voile sur le référent ?
 
Eh bien tout simplement parce qu'il fallait traduire : « Bienvenus au Cirque de la misère !!! Avec ses clowns pas drôles, ses acrobates frileux et ses dresseurs d'animaux léthargiques ! »
 
Chaque numéro sembla une parodie de lui-même : les clowns ne furent pas drôles, dotés d'un manque d'expressivité et d'enthousiasme remarquable, usant de gimmicks éculés plutôt destinés à faire pleurer que rire, et complètement impassibles devant le peu de réactivité de l'assemblée ; les chevaux se cassèrent la gueule après un tour de piste et le clou du numéro consista à leur faire poser une patte sur un tabouret ; les acrobates exécutèrent des numéros de cour de récré que ma petite nièce aurait faits aussi bien (voire mieux) ; les tours de magie laissèrent perplexes non parce qu'on ne vit pas les ficelles, mais parce qu'on ne vit pas ce qu'il y avait de soi disant extraordinaire à voir. Mais le pire (et bonjour pour expliquer ça à ptit bout d'nièce)… les lions ! Ou plutôt… leur absence ! Point de lions donc, si ce n'est Roger, le vigile, déguisé en lion le temps de venir saluer, à la fin du spectacle… Roger, qui d'ordinaire fait la gueule, planté dans un coin du chapiteau, forcé en plus de porter la croix, érigé ouvertement en symptôme manifeste d'un cirque malade…
 
Le seul talent à leur reconnaître mais qui fût aussi leur drame : leur capacité à endosser plusieurs rôles, puisque le maître de cérémonie était aussi le clown et le dresseur, et l'acrobate, la magicienne, ainsi que l'ouvreuse, la caissière et la vendeuse de barbes-à-papa à l'entracte. Avec son corollaire assez peu réjouissant d'avoir à subir une quête toutes les demi-heures : une pour le développement du cirque (à laquelle on eut du mal à souscrire du coup), une pour la stagiaire acrobate (ah bon ? Où ça ?), et une pour… la forme ? (Au passage, on comprend mieux les 1h45 de spectacle affichées…)
 
En somme, un petit microcosme d'automates, programmés à réaliser des numéros aux gestes stéréotypés exécutés dans une cadence stakhanoviste et un oubli de soi résigné, seulement capables de nous balancer en pleine gueule leur immense lassitude.
 
Alors on applaudit bien sûr, on est polis, mais c'est pour essayer de faire venir un peu de magie là où elle manque cruellement… et espérer quand même que ptit bout d'nièce, qui n'engramme pas encore bien les expériences pour comparer, y trouve quand même un peu d'émerveillement.
 
Ces spectacles-là devraient être gratuits, voire même devrait-on être payés pour y assister vu le mal que l'on s'y fait à piétiner nos doux souvenirs d'antan…
 
*je pense qu'il y en avait d'ailleurs, si l'on considère d'un autre œil le mec avec tous ses colliers lumineux qu'arrêtait pas de nous tourner autour en scrutant nos portefeuilles.