Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

dimanche 20 juillet 2014

Bricolomania

Ah le magasin de bricolage ! Objet transitionnel de nos fantasmes d'aménagements. Si si ! "transitionnel", un peu comme les doudous des enfants qui remplacent symboliquement les parents, ben symboliquement, le magasin de bricolage remplace tes rêves d'aménagement. Parce que c'est le lieu de tous les possibles (enfin tout y est quoi) et pourtant tu sais que t'en feras pas les trois-quarts (par manque de budget, de temps, de courage surtout), mais rien que d'y être, c'est comme si tout était encore possible.

Sauf que… on part pas tous avec les mêmes avantages. Moi, quand il fallut que je changeasse le joint de hublot de ma machine à laver, comme toute célib' qui se respecte, j'ai foncé sur internet voir un tuto (tutoriel, oui.) Et trop flattée par la facilité qu'offrait la chose, losque le gars qui fit cela en deux minutes chrono me dit qu'il suffisait d'un tournevis, j'aurais dû flairer le piège. Certes, un tournevis, mais LE tournevis et pas n'importe lequel ! Spécialement celui que tu n'as pas dans ta boîte à outils !! Le cruciforme T20 X L80 X Y300 X P800 (T = taille / L = longueur / Y = Y en a marre / P = Pourquoi tous ces chiffres !! Au moins je sais pourquoi il s'appelle Dexter mon tournevis, c'est pour les psychopathes)
 
Alors j'y allai, chez Leroy-Merlin. À reculons, hélas…
 
J'entre dans le sacro-saint temple des frimeurs du dimanche et je commence à suer à grosses gouttes. Le magasin est plus grand que le Parc des expos et rien n'indique le rayon des crucifix ! Euh des cruciformes, mais vu que je songe à mettre fin à mes jours avec le râteau qui est à ma portée, le premier mot est plus approprié. Non allez, courage ! On devrait quand même y arriver !
 
Je repère le rayon des tournevis sur le module informatique placé astucieusement à cet effet. J'essaie de mémoriser le labyrinthe à parcourir pour ne pas avoir à demander mon chemin en cours et trahir mon dilettantisme. En même temps, point trop de scrupules n'en faut, une femme dans un magasin de bricolage, on ne s'attend pas à ce qu'elle t'explique le fonctionnement d'une dégauchisseuse ou d'un compresseur à air. Mais bon, j'fais un peu comme tout le monde, je me donne l'air d'une femme forte et indépendante qui répare sa machine à laver toute seule. (Oui bon oké une galérienne) J'avance d'un pas ferme, genre "j'm'y connais".
 
Au bout d'une heure de recherche active de mon rayon, j'y suis enfin. Je suis devant les tournevis ! Punaise ! Y en a trop ! Moi j'ai juste pris le mien en sachant qu'il m'en faut un plus petit, mais y en a au moins une bonne vingtaine de plus petits ! Tant pis. J'les prends tous. Dommage pour le budget, ça va faire un peu mal. Il doit se demander ce qu'il me prend le mec d'à côté. Soit il est admiratif de penser que j'ai besoin d'autant de tournevis, car ce que je dois faire doit être phénoménal. Ou alors il a compris et là, c'est trop la honte. Il a compris vu qu'il sourit. Je la ramène donc pas trop. Lui, c'est le type "chevronné". Si ! Ça s'voit, avec sa petite liste et son chariot genre t'as vu tout ce que j'vais prendre… et le crayon sur l'oreille, ça, ça trompe pas ! Va essayer de te faire tenir un crayon sur l'oreille, toi ! Il a déjà plein de trucs dont j'ignorais l'existence dans son caddie et il continue à le remplir. Comme il doit maîtriser… J'imagine sa maison qu'il aura toute faite lui-même, en bois bien sûr, avec un insert parce que ça chauffe bien mieux et c'est esthétique et des panneaux solaires sur le toit parce qu'il faut penser à la planète. Je suis sûre que sa femme ressemble à Barbie et qu'elle est tellement fière de lui ! (Jalouse ? Euh… un peu.) Une promenade de santé pour lui. Il n'a qu'un exemplaire de tout ce qu'il prend, lui, bien sûr, et pas cet air désemparé de chien devant sa boîte de pâtée fermée.
 
Je repère un groupe de vendeurs qui me matent en coin. Ils attendent la faille, le moindre signe de détresse pour me tomber dessus. Faut les comprendre, remarque, côtoyant le Jacky toute la journée, quand une Brenda se pointe avec son air de pas avoir inventé l'eau tiède, c'est relâche ! C'est du tout cuit ! (et ptet plus si affinités). Eh oui, la femme dans un magasin de bricolage, c'est une proie facile. Elle est en position de faiblesse. Entourée de trucs virils dont par définition elle ne sait pas se servir, il lui faudra forcément un aiguilleur voire même un démonstrateur. Pensez-y les mecs pour draguer ! Postulez chez Casto ! (Quoique, en fait, des femmes, vous en verrez pas tant que ça, hormis des camionneuses, mais bon…)
 
Je regarde discrètement vers les vendeurs. Mignons comme tout, en plus. "Houlà là, comment on se sert d'un tournevis, monsieur bricolage ? Et on la met dans le petit trou la vis ? Avec le gros tournevis ? C'est à vous tous ces muscles ? Han !" Et que ça s'battrait pour m'expliquer.
 
Ben oui, un magasin de bricolage, si c'est l'angoisse absolue pour une femme (oui, c'est cliché, mais bon, dans les clichés y a toujours un peu de vrai), pour les hommes, c'est une arène à combats de coqs. C'est à qui aura le plus gros tournevis, la plus grosse perceuse, le plus de planches dans son caddie. Qui aura l'outil le plus compliqué et le talent de savoir s'en servir… Je soupçonne même la plupart de se la jouer, au moins pour faire la paon devant leur femme. "Mais si Jocelyne, bien sûr que ça rentre ! J'ai pris les dimensions. Mais bien sûr que je peux te le fabriquer ton jacuzzi. Y a rien de plus facile !" Ouais. Sauf que Gérard, il va acheter tout le matos, et, la semaine prochaine, il reviendra le rendre, ou, dans le meilleur des cas, si sa fierté ne supporte pas le choc, il passera tout son dimanche après-midi prochain au magasin de bricolage, tout seul en catimini (évidemment sans Jocelyne cette fois), pour venir chercher les fiches-conseils de Monsieur Bricolage qu'il avait pas prises la première fois avec Jocelyne soi-disant que c'était dans les gènes de l'homme de maîtriser tout ça. Pensez-y maintenant, les filles, quand vous mourrez d'admiration devant Musclor en salopette, l'air déjà concentré sur les grandes réalisations qu'il s'apprête à faire (ou pas) avec tout le contenu de son caddie bien rempli. Parce que oui, avec Valérie Damidot et Marc-Emmanuel, ça a l'air simple de transformer son taudis en photo de brochure de chez Casto, deux-trois tits coups d'scie, un tit coup d'pinceau. Sauf que eux, ils sont cinquante à l'ouvrage pendant une semaine avec un budget M6 et que toi, Gérard, t'es tout seul avec ton PEL et ton livret A et que donc il te faudra travailler deux ans jours et nuits pour faire pareil ou à peu près, si tu ne te décourages pas avant…
 
En tout cas, vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus…
 
Et mon joint de hublot ? J'ai même pas pris les fiches-conseils de Monsieur Bricolage ! Non, j'ai carrément appelé Monsieur Bricolage qui est venu me le changer. Mais au moins, la prochaine fois, j'aurai forcément le bon tournevis…

lundi 14 juillet 2014

In Nomine Patris...

Je prie sans savoir pourquoi. Je prie sans but pour la première fois. En général on prie avec une idée derrière la tête. On frotte un peu la lampe d'Aladin, quoi. On prie pour la paix dans le monde, par exemple, pour une cause, au moins, grande ou personnelle. Moi, d'habitude, je demande plein d'trucs, de la place de parking libre à la guérison de la leucémie de la fille de ma collègue, ça n'a pas de commune mesure, mais bon, comme ça, Dieu, il peut se reposer un peu, s'il veut… Mettons, s'il est en RTT, ben il préférera traiter la place de parking libre, ou la retrouvaille des clés de voiture perdues, plutôt que la guérison de la leucémie d'Euphrosine ou du furoncle de tante Germaine (si tant est que je trouve une raison de prier pour ça). C'est plus simple, et, bien qu'il soit tout puissant, niveau pénibilité de la tâche, y a pas photo. Ces derniers temps, je lui demandais de me trouver un mec ou de me rendre moins empotée avec les ceusses (avec une petite voix prout prout c'est marrant). Là, on est à mi-chemin entre la place au Super U et la guérison des malades. C'est pour ses jours fériés, on dira (ceux où tu bosses pas, mais où t'as pas bossé pour les avoir). Ceux, donc, où il sort quand même un peu la tête de son nuage, car en plus, la plupart des jours fériés sont des jours en son honneur, donc il est pas bégueule et ne rechigne pas trop à la tâche ces jours-là.
 
Mais, en ce moment, même en tenant compte de son planning (c'est un jour férié, aujourd'hui !), je ne sais pas quoi lui demander. Enfin, je ne sais plus. Et je ne sais pas pourquoi je ne sais plus. Je ne sais même pas pourquoi je ne sais pas pourquoi je n'sais plus. Alors je prie, sans savoir pourquoi. Pourtant je m'interroge, je me demande ce que je souhaiterais, mais comme je ne souhaite plus rien, alors je ne demande plus rien. (Allô, Nietzsche, tu as un créneau pour moi, là ?)
 
Quoique des raisons de prier, il n'en manque pas tant que ça… Y a qu'à écouter les absurdités du discours présidentiel, pas plus tard que tout à l'heure, qui nous dit qu'il faut avoir plus confiance en nous, en prenant pour modèle cette pauvre institutrice qui s'est fait poignarder par la mère d'un de ses élèves. Effectivement, elle dût avoir une si grande confiance en elle qui lui permît de donner à la confrontation avec le parent d'élève l'issue favorable qu'on connaît. Mais où puise-t-il cette audace (euphémisme), dans de telles circonstances, de nous dire d'avoir plus confiance en nous ? C'est pas en nous qu'on manque de confiance, gros malin, mais en nos institutions qui périclitent toutes, les unes après les autres, et qui sont incapables de nous garantir le minimum de sécurité requis pour aller bosser tranquille ! Et un autre planqué de la même couvée qui renchérit, sur France Inter, en nous disant, la fleur au fusil, sur un ton qui aurait aussi bien pu annoncer la météo ou le Point Route, en tout cas, moins concerné tu meurs, que la société actuelle est de moins en moins sécuritaire. (mais bon, moi j'men fous, je vais bouffer chez Fauchon avec les potes du Sénat, qu'il aurait pu ajouter pour être au moins un peu crédible).
 
Alors là, moi je dis, bravo les gars ! C'est bien vous qui zêtes aux commandes pourtant, non ? (avec une voix de demeurée pour qu'ils soient toujours encore un peu plus sûrs de leur cible, on est d'accord, ils nous prennent pour des cons ?) Mais du coup ? Si c'est vous qui zêtes aux commandes, vous avez pas un peu honte de nous dire ça comme ça ? C'est un peu comme si mon médecin se vantait d'avoir le plus grand nombre de décès du pays suite à ses consultations ?
 
Alors, oui, je crois qu'on a raison de prier, ptet même que c'est notre seule chance de pas couler, finalement ?
 
La France, premier pays consommateur de psychotropes au monde ! Alleluia, Seigneur ! T'as vu comme on s'en sort bien sans toi ? Les asiles sont pleins, les prisons, aussi, merci Flamby ! Laissons-les grossir ces bancs de détraqués que la société nous pond et qui s'regardent les pieds sans savoir à quoi ça sert, en ânonnant qu'ils ont des droits et qu'on fait mal notre boulot, nous, les poires qui suons nuit et jour pour gagner des clopinettes.
 
CONFIANCE qu'y nous fait l'autre. C'est pas ce qu'on leur avait dit à Hansel et Gretel quand ils se sont pointés devant la maison en pain d'épices ? On t'a compris François, parce qu'on a lu les contes des frères Grimm : on va droit dans l'mur !!
 
Heureusement qu'on a le foot, le mariage pour tous et les feux d'artifice du 14 juillet pour huiler tout ça et que ça passe mieux !
 
In nomine patris et filii et spiritus sancti, Amen.