Prologue ou Histoire de la fille qui ratait tout

Je ressens le besoin d'écrire mon histoire, de me raconter, comme si j'avais besoin des mots pour me sortir d'une impasse, d'un mal être, d'une incapacité à aller de l'avant. J'ai l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir bouclé une boucle, et d'en avoir saisi le mécanisme, de cette boucle, comme un système complexe et bien rodé dont on finit par percevoir le fonctionnement.

Et à trente ans – trente deux exactement – je crois que je peux le dire, j'en suis là, à ce moment de ma vie où je commence à comprendre mon fonctionnement. J'ai découvert qui j'étais : la fille qui rate tout.

dimanche 27 octobre 2013

Maison d'heureux traîtres

« J'ai jamais demandé à venir ici, moi… »* au milieu de tous ces gens en partance pour les catacombes ; on m'a même pas demandé mon avis ! Ah les félons, avec leur maison d'heureux traîtres ! Ils m'ont mise là, au rebut des vieux. En espérant sans doute que la flamme s'éteigne pas trop tard pour que l'héritage ne se réduise pas comme peau de chagrin, vu le coût du palace.
 
Regardez-moi ça ! C'est pas du mobilier Ikéa, ça je peux vous l'dire ! Le confort des résidants, il a bon dos, tiens ! Jusque dans le bureau du directeur qu'il va se nicher ! Qui peut se vanter d'avoir un bureau en véritable ronce de noyer marqueté ? On dit merci qui ? Merci papi, merci mamie !
 
Voilà. C'est ça le prix à payer pour accepter d'être destitué de son humanité. Nous ne sommes plus que des êtres éphémères, qui nous effaçons petit à petit. Nos carcasses s'amenuisent et se flétrissent, vos regards nous fuient, nos paroles vous échappent… On est objets que l'on déplace au gré des temps forts de la journée, objets que l'on manipule avec plus ou moins de dégoûts et des gestes sans grâce, nous obligeant sans sommation à subir l'opération la plus atroce qui soit, l'ablation de notre bien le plus cher : l'estime de soi. Sachez que la raideur de nos gestes et de nos corps n'a d'égal que la froideur de vos attentions, et la laideur de vos intentions.
 
Avec la force du rassemblement, l'osmose qui unit les gens regroupés au même endroit, on subit le calvaire des autres, autant que le sien. On regarde son congénère patauger dans ses excréments, et, paniqué, désespéré, tenter de camoufler l'affaire pour pas que la sémillante infirmière piétine encore une fois sa dignité en s'emparant du drap, l'air faussement détaché, mais les traits crispés par le dégoût latent. Alors on intensifie ses efforts dans chaque geste de la vie courante, pour ne pas offrir le spectacle de sa déchéance au regard de tous. On la tient ferme cette cuillère, même si Parkinson se gausse d'en faire son affaire, mais c'est encore un peu d'humanité sauvée, dans ce monde où plus rien n'a de poésie.
 
L'univers se réduit lui aussi en même temps que notre corps, se resserre autour de nous. On ne sort plus que sur avis médical. De toute façon, il y a un code pour ouvrir la porte afin d'éviter aux plus séniles d'aller finir leurs jours ailleurs que dans notre petit paradis fomenté par nos heureux traîtres pour se décharger du poids mort qui pesait encore sur leur petite vie tranquille. Car le service rendu ne les empêcherait pas d'aller coller un procès à nos tauliers. Ils doivent avoir le sentiment de nous avoir offert un écrin de soie et de sécurité, certainement pour contrebalancer les potentiels remords qui auraient l'outrecuidance d'affleurer par la conscience de n'être pas venus au monde tout seuls.
 
Monsieur Ronce-de-Noyer se charge de tout, du confort des résistants, heu… des résidants, et de la bonne conscience des autres ! (Avec son sourire d'officier de la Gestapo, il doit même sûrement avoir un moyen de précipiter un peu la succession…)
 
Eh ben non ! J'vais tenir les ptits gars ! Oh oui, j'vais tenir ! Vous n'en aurez rien de la peau de chagrin ou plutôt rien que le chagrin et vos yeux pour pleurer le pactole envolé avec la vieille. J'vais en manger du Julien Lepers, jusqu'à écœurement ; j'vais en faire des mots croisés, puis quand je pourrai plus, des dessins avec les doigts comme les gamins de deux ans, que je vous offrirai dans un grand sourire sans dent lorsque vous viendrez me voir à Noël, lors de votre visite annuelle de bonne conscience. Oh non, mes ptits poulets, c'est pas comme ça que vous la plumerez mémé !!
 
*(première phrase reçue comme une claque d'une petite mamie, dans l'ascenseur, alors que je rendais visite à un autre résidant dans une maison de retraite de la région parisienne, et qui m'a inspiré ce billet…)

samedi 19 octobre 2013

Meat... Hic !

Me revoilà sur Meetic… avec le sentiment de ne pas m'engager dans la bonne voie. Je parcours les profils comme je tâterais des pommes ou de la viande sur les étals du supermarché. Fini les rêves de rencontre providentielle ; on prend les grands moyens de vieille fille au bout du rouleau. Investie du pouvoir de sélection, je me sens toute-puissante dans ce marché des âmes en peine. J'élimine les fruits avariés ou trafiqués du supermarché – les pourris et ceux qui brillent trop – , je traque le profil soupçonneux, pourfends le profil-piège, car il y en a.
 
D'abord les vieux garçons puceaux qui veulent encore "croire en l'amour avec un grand A", ceux qui sont persuadés qu'ils mettent toutes les chances de leur côté en s'inscrivant sur ce site, au lieu de se sortir les doigts du cul pour obtenir ce qu'il veulent sans que ce soit "môman" ou autre chose qui décide à leur place. Des profils bancals, des présentations enrobant d'un romantisme fiévreux leur désespoir de puceau (mais tu sais très bien qu'ils sont prêts à se prendre la bite, derrière leur webcam, entre la plante verte et le paquet de Kleenex…), des photos floues ou de loin qui te feront perdre du temps dans des rendez-vous ou la courtoisie t'obligera à écouter des bafouilles nerveuses pleines de salive et de respirations sonores… Beurk !
 
Ensuite les "périmés" ou ceux qui tentent encore leur chance en faisant fi de la barrière de l'âge, des fois que leur faciès raviné par le temps, l'alcool et la maladie touche la fibre masochiste de l'une d'entre nous. Attention, ceux-là se sentent plus spirituels et drôles que les autres et te saoulent vite dans un florilège de mots d'esprit ou de citations empruntés à des auteurs plus ou moins étudiés d'ailleurs.
 
Passés ceux-là, l'horizon s'éclaircit un peu, mais guère plus…
 
Viennent alors les jeunes puceaux, encore porteurs d'un avenir sentimental quand le passé n'est pas encore trop chaotique, et qui font ici leurs premières armes, un peu "à la lose" donc, mais ils ne cherchent pas le grand Amour, quoique leur sensibilité exacerbée et leur besoin de reconnaissance ne les mettent pas à l'abri de prendre un battement de cil pour un coup de foudre. Pour ceux-là, Meetic est une sorte de savane où la cougar pullule, grande prêtresse du dépucelage expert. Et il faut savoir que pour eux, passé trente ans, tu en es une… (Ça ça fait mal.)
 
Puis les paumés, le gars qui sait pas trop pourquoi il est là, qu'a pas vraiment de problèmes relationnels ni de complexes physiques, mais il est là, et d'ailleurs, il ne sait pas trop ce qu'il cherche, il est pas sûr de vouloir s'engager dans quelque chose de sérieux… Meetic est pour lui un laboratoire de la séduction. C'est un ancien complexé qui a retrouvé confiance en lui sur le tard avec l'âge et qui vient se renarcissiser. Il est "open", ouvert à ce qui viendra, sans prises de tête… C'est le gars pas compliqué, quoi, mais toi, du coup, tu sais pas trop si t'as envie de continuer à discuter avec lui.
 
Et puis, dans un genre diamétralement opposé : le lover. Un Black souvent. Tu vois très vite pourquoi il est là même s'il choisit d'avancer en mode taupe. Celui-là tu peux transformer l'essai dans l'instant si tu as besoin. Il est dispo dès que tu veux. D'ailleurs il te file son numéro quasi immédiatement. Et comme il a de gros atouts et un sourire à tomber, tu batailleras pas mal avec ta conscience pour ne pas sauter sur ton téléphone. (profil hautement piège)
 
And last but not least, talonnant le lover : le Indurain des sites de rencontre. Beau, grand, cultivé, spirituel et drôle, avec une situation professionnelle stable et confortable, un goût prononcé pour les voyages, les sorties entre amis, une pratique sportive régulière (et qui se voit) et une philosophie de la vie altruiste et épicurienne… Oui mais finalement, ce vendeur de rêves, mais qu'est-ce qu'il fout là ??!! Il peut pas nous laisser tranquilles entre bancals, paumés, puceaux et autres sortes de bizarreries composant ce bestiaire de la ménagerie Meetic ? Mais laisse-nous entre loser de l'amour !!
 
Alors oui, on dira… la démocratisation des sites de rencontre… mieux ! leur côté hype et branchouille !
 
Ah ouais, bien sûr… et la facilité, le manque de couilles des mecs, ça non ? Parce que finalement, inscrit sur Meetic, le Indurain des sites de rencontre, il devient fade… Nous ce qu'on veut, c'est un vrai chasseur-cueilleur, pas un chasseur virtuel, non, un qui va sur le terrain, qui ose prendre des risques et des râteaux. Eh oui, on ne salue pas le talent sportif de quelqu'un sous prétexte qu'il joue super bien à FIFA 2013, il en est ainsi du talent de séducteur de notre Indurain de la rencontre virtuelle.
 
Ben ouais, mince, qu'est-ce qui va pas dans notre société ? Les mecs sortent plus de chez eux ? Ils savent plus draguer ? On est tous devenus des éclopés de la relation, des tendus du slip du sentiment  ? C'est quoi le côté attrayant de Meetic, mis à part la facilité, voire la lâcheté du procédé ? C'est le fait de pouvoir découvrir qu'à quatre cents kilomètres de chez toi, il y a un mec qui te correspondrait parfaitement ? Génial ! Pour se voir, ce sera pratique !! :-)
 
Et si c'était pas plutôt tout simplement de pouvoir s'essayer à la séduction sans danger, caché derrière son écran, à l'abri du râteau publique, et de pouvoir interrompre la relation à tout moment d'un simple clic… Il est pas beau notre monde virtuel ? … :-(

mercredi 2 octobre 2013

Sainte Âne (Bâté) priez pour nous

(Afin que nous ne finissions pas chez vous...)

Ah le débrief avec la patronne ! Que du bonheur… J'ai pris un gros coup des Tables de la loi sur le coin de la cafetière. Premier commandement du troufion : Sans broncher tu accepteras la submersion sous des tâches que tu sais d'avance que tu ne pourras pas les faire. Mais comme personne ne pourra non plus les faire, alors c'est à toi qu'on les donne. Il en faut bien un à qui l'on gâche ses perspectives de jours ensoleillés. Par principe, c'est le dernier arrivé. Celui qui n'osera pas dire non pour ne pas prouver son incompétence à peine débarqué de son pays du temps suspendu, dans l'hémisphère mort, le Pôle Emploi. Second commandement : Tu supporteras sans broncher les remontrances et autres manœuvres sadiques pour te prouver que tu manques cruellement d'organisation, même si tu sais très bien que ce n'est pas l'organisation le problème, mais plutôt d'être une association qui œuvre dans le social dans un pays où l’État s'est presque déchargé complètement de la question sur les ceusses (bonne poire, pigeon, martyr, les désignations laissent place à l'imagination et sans avoir la Tourette, on en trouve facilement un bon nombre). Troisième et quatrième commandement : Tu n'emploieras pas les mots « congés » ou « paie » encore moins « syndic » si tu es en train d'expérimenter les premier et deuxième commandements. Tu attendras un jour plus favorable, ou plutôt, tu saisiras l'opportunité d'en parler lorsqu'elle se présentera, ou au moins celle d'évoquer l'idée.
 
Alors j'ai tenté désespérément de lui démontrer que si ! j'étais organisée !…
 
Sauf que j'avais ma pile de dossiers enchevêtrés et prête à s'effondrer dans les bras.
 
J'ai senti son scepticisme… J'aurais dû pleurer ?

J'ai éclaté de rire. Bref. :-(
 
C'est vrai que je suis organisée. Le matin, j'arrive, j'ouvre mon petit carnet des choses à faire dans la journée, parce que le soir, je note les choses que j'aurai à faire le lendemain. Et je lis, scrupuleusement, en essayant de dessiner un ordre des priorités dans ma tête. Je stabilote, j'entoure, je raye, je réécris et, vers le milieu de la matinée, épuisée par ce travail préparatoire, je fais une pause-café. Donc après, je reprends mon carnet des choses à faire, et cette fois, plus déterminée, je choisis dans la circonscription de mes tâches de la journée celle par laquelle je vais débuter. Et alors, je m'y mets. J'attaque ! Je déploie mon énergie en sommeil bouillonnante d'avoir trop attendu. Il est 11 heures, 11 heures trente… Et là ! Dans cette verve productrice expansive, dans cet incendie d'intentions prolifiques, j'aperçois mes collègues qui se dirigent vers la salle à manger… Soudain, mon ventre se met à gargouiller.
 
Mais non ! J'exagère, là !… Parce que sinon, je crois que je me serais fait expulser dans mon pays des Télétubbies où le monde n'est que farandoles et fariboles. Mais c'est presque ça. Et même si je suis pas aussi longue à l'allumage, chaque soir j'ai l'impression de n'avoir rien fait et chaque matin, je sais que le soir j'aurai l'impression de n'avoir rien fait. Cette impression de remplir le tonneau des Danaïdes…
 
Dédicace à Socrate ! Tout c'que je fais, c'est que je n'fais rien… (le fofotage est un handicap dont on ne parle pas assez)
 
Pas mieux. Je prends donc congé pour aller méditer sur cette touche finale qui n'est pas la plus brillante, mais bon, on fait ce qu'on peut.