En allant voir ce film, je me suis
rendue compte de la dualité de mon être d'une façon prégnante. Je
suis plutôt du genre conciliante, même si mon désespoir a révélé
chez moi depuis quelques années une espèce de rancune exponentielle
pour le genre humain et la condition humaine de manière plus
générale qui me fait de moins en moins considérer mon semblable
avec cet œil de toubab à dépouiller. C'est-à-dire que de plus en
plus, j' « ouvre ma bouche » pour dire ce qui ne va
pas, comme si mes années de silence et de « on se fait pas
remarquer » me revenaient en pleine gueule et réclamaient
dédommagement. Ajouté à mes nombreuses frustrations qui cherchent
un exutoire, (et peut-être nées de ce silence que je m'imposais ou
que les autres m'imposaient je ne sais plus) je suis la Lucky Luke du
retour de bâton, la reine du pied dans l'plat, la championne du
revers lifté, j'ai plus rien à perdre et j'y vais. Je crois aussi
que j'ai besoin de me prouver que je suis pas une dégonflée qui
rentre dans sa coquille à la moindre bisbille pour « pas faire
de vagues ». Non, j'en veux des vagues, des grosses vagues bien
écumeuses à t'écraser la tronche par terre. J'ai presque
l'impression même que c'est un jeu, un exercice que je m'impose.
« Aucune injustice tu n'essuieras sans rechigner, sans
répliquer ! » Voilà mon commandement. « Rechigne
et réplique ! »
Même si ça doit me jouer des tours et
me faire culpabiliser, comme hier soir…
Je vais voir le dernier Tarantino (quelle idée déjà avec un tel
état d'esprit : un Tarantino, ça réveille le psychopathe qui
est en toi, c'est super dangereux.) Soit. J'avais déjà passé la
dernière séance de cinéma avec mon ami à me glisser de siège en
siège afin de satisfaire le confort personnel de fessiers étrangers
ne pouvant supporter l'idée de ne point se réaliser ensemble côte
à côte dans cette activité pourtant hautement autistique
qu'est le visionnage d'un film au cinéma. Bref, on s'était décalés,
bien que le film fût commencé et que nous pâtissions forcément
du saut scénaristique engendré. Fussé-je bien claire ? (Tiens
je suis en train de me dire que ça fout les boules, l'imparfait du
subjonctif.) Donc. On s'est décalés une fois, mais non content de
nous faire suffisamment chier, un autre fessier étranger a récidivé, cette fois
en faisant décaler l'ensemble de la rangée. Alors, bien gentiment,
mais en n'en pensant pas moins, on s'est re-décalés. Bref. Le
terrain était miné de ce côté-ci de ma susceptibilité, quoi, et
hier, alors qu'on était bien installés, qu'on commençait à sentir
la chaleur de nos séants irradier le moelleux du fauteuil, une dame
avec marmot repère les deux places situées chacune à l'extrémité
de la rangée où nous avions élu domicile le temps de cette séance,
et c'est elle qui a ramassé. Elle s'assoit et bien sûr, les mots
tant attendus ont fini par franchir la barrière de ses lèvres
: « Pou-rriez-vous-vous-dé-ca-ler, s'il vous plaît,
mademoiselle, pour que je puisse être à côté de mon fils… »
Snif, la corde sensible, la traîtresse ! Je regarde l'enfant en
question, avec mon œil bovin (celui de la circonstance je veux
dire), petit être perdu sans sa môman, à la dérive, prêt à
décrocher de notre frêle esquif molletonnée…
Et de ce même œil bovin, je regarde devant moi la béance des
fauteuils vides qui attendent, avec autant d'impatience que le gamin
sa môman, le cul salutaire qui voudra bien poser son fondement sur
leurs assises bienveillantes. Mais non, la mômam, il fallut qu'elle
nous fasse chier. Alors peu coopérante, j’acquiesce tout en lui
faisant remarquer qu'il va falloir faire se déplacer tout le monde
et que pourtant il y a de la place devant. « Oui, mais devant,
comprenez, on a le nez collé sur l'écran » « Et ma main
collée sur ta gueule, ça le fait ?! » J'ai pas dit
ça comme ça. Et on s'est finalement décalés. C'est pas
grand-chose, c'est vrai, un peu d'humanité, quoi, vous vous dites…
Mais merde, moi j'ose même pas faire décaler les gens au ciné,
parce que si j'arrive après tout le monde, déjà, je me dis que je
suis en tort, ensuite, les gens, ils ont commencé à regarder
l'écran qui vient de s'allumer, voire le film, ils ont choisi
scrupuleusement leur place, ils ont bien mis leur petit manteau à
côté, de quel droit je détruirais leur petit coin de paradis au
profit du mien ? Oui, je sais que j'ai tort, que c'est rien, et
d'ailleurs je sais pas pourquoi j'en ai fait tout un plat de ce truc-là…
J'ai culpabilisé, croyez-moi, de ne pas avoir ouvert mon cœur
spontanément et de rabouler Lucky Luke pour si peu… Mais désolée,
madame, désolée, petit, mais si je viens voir Tarantino, et toi
d'ailleurs, gamin, tu devrais pas être dans cette salle, c'est parce
qu'il répond à mes envies de meurtre…